Au-delà de vos peurs
Chère amie, cher ami,
En 1981, la chanteuse italienne Milva[1], décédée en 2021, chantait « Moi je n’ai pas peur »[2] :
« Moi je n’ai pas peur d’essayer de vivre, de vouloir aimer…. Moi je n’ai pas peur de la terre qui craque, de la mer qui tue… Moi je n’ai pas peur du dernier éclair qui pourra demain déchirer la terre… Moi je n’ai pas peur d’avoir peur… de l’Apocalypse. »
Écoutez bien les paroles de cette chanson[3] écrite il y a plus de 40 ans, car elles sont toujours d’actualité. En effet, cette peur exprimée, je l’entends tout autour de moi depuis quelque temps, jusque sur les plages du midi.
Mon but dans cette lettre estivale n’est pas de faire mon « rabat-joie » – et surtout pas de vous faire peur – mais bien au contraire, de vous dire combien l’on peut tirer parti de ses peurs.
Peurs, peurs paniques, anxiété, angoisses…
- La peur n’évite pas le danger
- Celui qui n’a pas peur n’a pas de courage
- Des peureux, il s’en sauve toujours quelques-uns…
Comme le montrent ces dictons populaires qui se contredisent, donner une définition de la peur n’est pas si simple !
Le dictionnaire Larousse propose plusieurs définitions de la peur[4], parmi lesquelles on note les mots : appréhension, angoisse, danger, menace, crainte…
Quant à la panique, elle n’est qu’une conséquence de la peur : on parle de « peur panique ».
Pour l’angoisse, le même dictionnaire[5] parle de « grande inquiétude, anxiété profonde née du sentiment d’une menace imminente » et en même temps il précise que certains philosophes existentialistes, comme Heidegger[6], la définissent comme une expérience fondamentale de l’homme qui lui permet de saisir la réalité du monde, ainsi que la sienne.
Il existe aussi une définition physiologique de la peur : elle naît dans le cerveau et plus particulièrement dans l’amygdale[7]. Lorsque l’amygdale est stimulée par un événement qui provoque la peur, elle modifie le fonctionnement d’autres régions de notre système nerveux et de certaines de nos glandes endocrines, notamment les surrénales. Cela va se traduire par des symptômes que nous connaissons tous, comme une accélération du rythme cardiaque, des frissons, des sueurs, des bouffées de chaleur, des sensations d’étouffement…
Je reviendrai sur ces symptômes dans la lettre suivante, mais j’aimerais ajouter, pour conclure ce paragraphe, que la peur – qu’on lit bien légitimement dans les yeux de ceux qui ont à gérer une grave maladie – peut ne pas être prise comme un sentiment négatif, mais bien au contraire comme un ressort qui pousse à agir.
Le docteur Henri Laborit[8], chirurgien, neurobiologiste et découvreur du premier neuroleptique,[9] avec qui j’ai eu des discussions passionnantes, a écrit dans son célèbre ouvrage Éloge de la fuite[10], que l’on pourrait plutôt comprendre la peur comme « une science à développer d’urgence, celle des comportements humains, ce à quoi s’attache la Logique émotionnelle pour que l’on puisse apprendre à chaque être humain les racines de son fonctionnement, l’enseigner aux enfants, pour que tout être humain puisse ainsi acquérir une possibilité de modifier ses comportements… »[11] .
Les peurs d’aujourd’hui
Peur des conséquences de la guerre en Ukraine, peur du feu nucléaire et donc de l’Apocalypse.
Peur du changement climatique, dont nous constatons les terribles effets, y compris sur notre territoire qui était jusqu’ici à peu près épargné : incendies dramatiques et sécheresse qui posent des problèmes insurmontables aux agriculteurs et bientôt aux consommateurs.
Peur de nouvelles pandémies liées à ce même dérèglement climatique.
Peur des risques de rationnement d’énergie, en gaz mais aussi en électricité, du fait du mauvais fonctionnement de nos centrales nucléaires lié à la sécheresse.
Peur de l’inflation et de l’instabilité monétaire qui menacent nos revenus et notre vie quotidienne.
Peur des pollutions multiples, visibles ou invisibles, aggravées elles aussi par la sécheresse et la canicule.
Peur des inondations et des orages violents accompagnés de grêle, que nous avons déjà observés récemment et qui surviendront certainement en automne, du fait de trop grands écarts de température entre la mer et la terre.
Je m’arrêterai là. Toutes ces peurs sont légitimes, mais si nous faisons un pas de côté et prenons une bonne inspiration, nous nous rendrons compte qu’elles sont totalement stériles si nous n’avons aucun moyen d’agir, personnellement, sur leurs causes.
Car nous n’allons pas aller nous battre en Ukraine, ni au Yémen, ni pour les Ouïghours, ni modifier le climat, ni faire tomber ou arrêter la pluie ou refroidir les températures… Nous pouvons tout au plus adopter des petits gestes quotidiens comme éviter l’usage excessif des climatiseurs ou surveiller notre consommation d’eau. Nous nous résignerons à voir jaunir nos plantes et nos pelouses en espérant des jours meilleurs, et plus facilement à ne pas laver nos voitures ni remplir nos piscines… Mais cela ne modifiera en rien les nuisances des grands pollueurs industriels ou l’inaction environnementale de nos politiques.
Cela ne chassera pas cette peur indicible qui finit par brouiller le fonctionnement de notre cortex cérébral, plus particulièrement de nos lobes frontaux[12] qui commandent notre fonctionnement logique et rationnel, et qui pourraient nous ramener à la raison.
La peur et ses conséquences sur nos comportements
L’organe blessé par la peur, c’est l’amygdale[13] et ses quelques neurones au sein de nos lobes temporaux, qui paralyse alors tout notre cerveau. C’est ce que nous explique magistralement Alexandre Boisson, ancien membre du GSPR, Groupe de Sécurité pour le Président de la République de 2002 à 2011, sous les présidents Chirac et Sarkozy, fondateur des Associations SOS Maires[14], « la Brigade du Crime » et « Existence B[15] ».
Selon lui, lorsque nous sommes trop violemment et trop longtemps soumis à la peur[16], nous devenons victimes d’un véritable détournement de l’amygdale[17]. Nous ne pouvons plus utiliser nos lobes frontaux, donc avoir des comportements logiques et rationnels. Lorsque nous avons « trop et trop longtemps » peur, nos lobes frontaux sont court-circuités par le « mode survie » de l’amygdale.
Ce « mode survie » de l’amygdale est un processus ancestral qui avait toute sa valeur lorsque nous étions des « chasseurs-cueilleurs ». Il nous permettait de prendre instantanément la décision de fuir ou combattre face au danger, sans perdre de temps avec une réflexion inappropriée. Il a perduré génétiquement chez toutes les espèces. Mais selon Alexandre Boisson, ce même processus peut donner lieu à une véritable manipulation mentale par la peur, notamment par la peur de mourir. C’est ce qu’il explique dans une interview donnée au journal Nexus[18].
C’est même, selon lui, cette paralysie de nos lobes frontaux qui a conduit à fracturer les populations, dans le cadre de la crise Covid, entre « vax » et « anti-vax », empêchant tout échange et acceptation entre ces deux postures. C’est aussi, malheureusement, ce même processus qui est à l’origine des nombreux troubles psychiques observés, plus particulièrement chez les enfants et adolescents, à la sortie des confinements. Ce processus résulte d’une situation de violence psychologique qui, historiquement, est à l’origine de toutes les sociétés totalitaires. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire (ce que je vous conseille, cet été) le roman 1984 de Georges Orwell.
Le seul remède que l’on connaisse, permettant de freiner cet emballement des neurones de l’amygdale, c’est d’entraîner ses lobes frontaux. Les entraîner préventivement aux gestions de crise, par l’information, l’éducation et le travail sur soi, qui conduisent à « poser des mots sur les maux », à identifier et nommer correctement les situations à l’origine de nos peurs.
C’est une vraie réflexion ou méditation sur cette nature de la peur et son rapport à la nature humaine que je vous propose dans la suite de cette lettre.
Dépasser ses peurs pour se construire ?
Je me demande en permanence comment font les personnes, en situation climatique ou écologique catastrophique, ou sous les bombes, pour gérer leurs peurs.
Je ne trouve qu’une seule réponse : s’extraire de son ego ! Pour nous, qui ne sommes pas confrontés à ces situations, il nous est presque impossible d’imaginer quel doit être ce dépassement de l’ego pour se comporter utilement, assurer sa survie et celle de sa communauté.
En ce qui nous concerne, nous, Occidentaux bien nourris et pour l’instant à l’abri des famines et des guerres, il n’y a qu’un travail personnel sur l’ego qui représente une issue à nos peurs, en cultivant ces deux attitudes indissociables[19], la compassion et l’amour, ou mieux encore : l’empathie et l’amour[20].
L’amour, que ce soit celui de sa famille, de sa patrie, de soi-même ou de l’autre, est la seule façon de dépasser l’emprise de l’ego sur l’être, donc la possibilité de la peur.
« L’amour et la peur ne peuvent pas coexister. L’une engendre ouverture et acceptation, l’autre fermeture et refus. Refus d’amour, refus de reconnaître ce que nous sommes. » Marion Mantel dans Approche spirituelle de la peur (ouvrage collectif, Éditions Diamantel, 2000).
Cela me semble tellement vrai, dans notre civilisation de plus en plus matérialiste et individualiste, où l’amour n’est que « de passage », où tant d’espèces disparaissent ou souffrent avec notre consentement implicite.
La peur entretenue de façon permanente devient une tension insupportable. Bouddha disait que cette tension doit être juste, comme celle d’un instrument que l’on accorde. Mais nos accords sont-ils justes ? Avec combien de fausses notes et d’illusions nous sommes-nous endormis dans cet environnement confortable, dont nous pensons ne pas pouvoir nous passer, dans ce sommeil dont nous avons tellement peur de nous réveiller ? Combien d’efforts et de renoncements pour atteindre ces tensions justes, ces certitudes et ces connaissances que nous pensions définitives, ces fausses idées sur l’amour, la science, le réel, les vérités… la Vie ?
La peur du changement, la peur de la perte de ses acquis, de son patrimoine, de sa sécurité, de sa santé, la peur de sortir de sa zone de confort, la peur de se connaître et même la peur d’avoir tant d’efforts pour le faire, sont des freins constants à notre évolution personnelle et spirituelle.
C’est du moins comme cela que je le ressens. C’est aussi comme cela que je l’ai vécu.
« La vraie non-peur pour moi, celle que mes maîtres m’ont enseignée, est de ne pas avoir peur d’avoir peur. Cela signifie qu’aucune de mes peurs ne m’empêchera jamais de faire ce que je considère comme juste de faire, d’aller là où je considère comme juste d’aller… Je ne m’identifie pas à cette peur. Je crois que la vraie non-peur, fondamentalement, est un sentiment très profond de sécurité, de confiance, d’unité. », écrit le docteur Bernard Pernel, neuropsychiatre et psychothérapeute[21].
Le vrai remède à la peur, c’est d’apprendre à nos lobes frontaux à résister à ces dysfonctionnements de notre amygdale engendrés par des peurs souvent illusoires.
Il ne peut, finalement, qu’être le fruit d’un permanent travail intérieur, que nous devrons faire seuls, dans le silence, le calme et la méditation, éventuellement accompagnés par un bon et bienveillant thérapeute.
Dans la prochaine lettre, je traiterai de quelques outils naturels dont je vous propose de vous saisir pour mieux maîtriser vos peurs.
Prenez soin de vous,
Docteur Dominique Rueff
Merci docteur Rueff de cette nouvelle lettre inspirante et tellement juste (accordée !). Elle me permet de ne point oublier le travail que j’ai entrepris – que vous décrivez. La prise en compte de notre nature dans son entièreté est indispensable pour vivre notre vraie vie.
Merci
Patricia
Docteur,
Merci pour cet article très intéressant comme toutes vos lettres. Il est difficile en effet de ne pas souffrir d’éco-anxiété et de peur pour l’avenir.
Intriguée de lire le role de l’amygdale (ou des 2 amygdales pour être précis) alors que je suis d’une génération à qui on les enlevait presque automatiquement (je ne me souviens pas d’avoir eu des angines à répétition!). Dans ce cas docteur, pourriez vous nous dire les conséquences de ne plus les avoir et comment peut on compenser si possible la baisse de défense de notre système immunitaire. Merci.
Bien cordialement.
Non c’est l’amygdale du cerveau rien à vois avec celles que l’on vous a enlevés
La peur peut faire partie de chacun mais ne doit pas devenir anxieuse car la peur peut attirer la chose sujette de celle-ci et se transformer en phobie. Il faut savoir la dépasser et regarder au-delà de cette peur pour pouvoir vivre en paix avec soi-même
Un seul mot : monsieur : BRAVO.
Bonjour,
voila l’information qui devrait permettre aux humains de passer à une vie sans peur, grâce à la compréhension d’eux-mêmes. La traduction est en cours, et bientôt un site en Français.
Cordialement,
Charles Petit
merci merci de parler de façon scientifique et étayée de ce fleau qui nous fait faire n’importe quoi et qui nous fait accepter des décisions débiles prises par d’autres à notre place. On se laisse manipuler à cause de cette p….. de peur et de façon dramatique et inquiétante depuis le covid…
Donc merci cher Dr Rueff d’éveiller nos consciences ainsi , ça fait vraiment du bien. J’attends donc avec impatience la prochaine lettre » après ce constat, on fait quoi maintenant? »
Bravo pour vos lettres qui sont de plus en plus pleines d’humanité et de gentillesse !
Bien sur qu’amour et peur peuvent coexister…
J’adorais mon mari et j’avais toujours peur pour lui, pour nous…
Il est décédé au début de cette année (vacciné en avril mai, il a déclaré un lymphome en juillet et a fait une embolie pulmonaire en octobre… avec mon esprit complotiste, j’y vois tout sauf un hasard…
Depuis qu’il a disparu, je n’ai plus peur, seulement un amour évanoui….
Première épître de Jean, ch 4 v 18 : il n’y a pas de peur dans l’amour ; l’amour parfait chasse la peur.
Merci pour cette lettre!
Je voudrais prolonger cette réflexion très intéressante par une analyse sur le paradoxe de la connaissance qui avec les meilleures intentions du monde peut accroitre encore ce sentiment de peur. C’est le problème de la prevention qui peut renforcer notre ego en nous faisant adopter des conduites visant le zero risque. Face à la pollution j’ai pris l’habitude de consulter les sites de qualité de l’air. Mais quand je vois que l’indice est rouge avec dew taux élevés de particules fines et d’ozone, j’ai l’envie immediate d’annuler toutes mes sorties de la journée avec le risque a terme de calibrer mes déplacements et mes visites chez mes amis en fonction de cet indice que je ne connais que la veille. Plus possible donc de m’engager à l’avance pour une sortie ou un voyage avec des amis. Il n’y a évidemment que si je prends du recul avec l’ego et développe la compensation que je peux dépasser ma peur de la pollution attestée par l’indice. Je me demande si toutes ces applis censées nous mettre en garde ne nous ramènent pas finalement a des comportements de protection individuelle alors qud nous devrions développer l’entraide et le partage face à l’incertitude de l’avenir. Cela reflète aussi notre société materialiste qui produit des kits de protection individuels au lieu de nous inciter au regroupement et à l’entraide. Je ne sais pas si d’autres pensent comme moi.
Si je peux me permettre de vous répondre, le fait de ne pas sortir en plein pic de pollution vous protège vous et les autres, puisque vous ne prenez probablement ni voiture ni transport en commun qui polluerait encore davantage.
Ce n’est pas le but de ces appli, adapter nos comportements pour la société ?
Merci merci merci !
Si ces conseils s’appliquent bien pour la situation liée au covid que nous avons vécue, je ne pense pas qu’elle s’applique bien pour la crise climatique actuelle.
J’ai dîné avec des amis qui racontaient leur mode de vie : piscine privée, le tout voiture sans arrêt avec un réel mépris pour le train, viande 2 fois par jour et en quantité, climatisation a 24 degrés jour et nuit, 2 a 3 voyages aux Antilles par an… comment ne pas avoir peur de l’avenir en voyant ce genre de comportement ?
Et bien je pense que l’action, individuelle – en changeant ces comportements irresponsables et sociale – en votant pour un’ système plus responsable est la seule capable d’apaiser la peur de l’avenir.
Parceque nous en sommes responsables et que c’est la seule chose qui nous sauvera.
Quand nous aurons perdu tout espoir de limiter le changement climatique, la il sera temps de faire un travail sur soi.
Tout est relatif! le mode de vie de vos amis même s’il n’est pas à encourager pèse bien peu dans la pollution des grand groupe industriels, des maxi tankers, de l’agriculture intensive et des armes de guerre… c’est par là qu’il faut commencer.