Repenser notre rapport au monde – Seconde partie
Dans ma précédente lettre, je vous ai parlé du professeur Gilbert Deray, néphrologue, chef de service à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. En conjuguant la médecine hospitalière avec d’autres approches, il a mis au point un programme en neuf points qu’il a nommé « ÉPICURE[1] ».
Nous avons déjà évoqué le premier pilier, l’importance capitale de prendre en compte et de traiter le stress aigu tout comme le stress chronique. Il est temps d’aborder les piliers suivants, tout aussi essentiels !
Une nutrition adaptée à nos conditions génétiques de « chasseurs-cueilleurs »
Qu’une alimentation de type méditerranéen[2] soit en mesure d’optimiser notre santé ne fait, j’espère, plus de doute aux yeux de mes lecteurs. On sait qu’une alimentation riche en polyphénols[3], en nutriments et en antioxydants, équilibrée en acides gras oméga-3 et 7[4], et appauvrie en graisses saturées et trans[5], est en mesure d’allonger nos télomères[6], et donc notre « vie en bonne santé ».
Gilbert Deray précise que cette forme d’alimentation peut modifier l’activité de nombreux gènes[7] :
- Nrf2, impliqué dans les maladies neuro-dégénératives ;
- MTHR, impliqué dans les maladies cardiovasculaires ;
- BRCA-1, impliqué dans le cancer ;
- miR-21, impliqué dans les maladies inflammatoires digestives ;
- TCLF7L2, impliqué dans le diabète ;
- FTO, responsable d’un appétit trop important, et donc d’obésité.
C’est l’exemple même de l’action épigénétique, volontaire et personnelle, dont je vous ai donné la définition dans la lettre précédente.
Malheureusement, on constate que dans de nombreux pays, y compris en Europe, le manque d’argent empêche une grande partie de la population d’accéder à ce type d’alimentation. Le prix des fruits et légumes, qu’il est préférable de consommer « bio » afin d’éviter les pesticides, aggrave ce phénomène.
La publicité de la « malbouffe », à laquelle les enfants restent particulièrement sensibles, en est un autre, ainsi que le manque cruel d’éducation nutritionnelle tant vis-à-vis des enfants que des parents. Le coût des fruits et légumes biologiques pourrait être largement compensé par l’abstention de produits industriels et une diminution de la consommation de viande et de fromage.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Adopter une alimentation de type méditerranéen[8] diminue de 30 à 50 % les risques de cancers, de maladies cardiovasculaires, de maladies dégénératives et neurodégénératives[9], de maladies métaboliques comme le diabète, et de maladies inflammatoires comme les arthrites articulaires ou la maladie de Crohn. Aucun médicament n’arrive à de tels résultats.
Pendant la grossesse, ce régime améliore également la croissance infantile[10] et éloigne le spectre des maladies de l’enfance, comme les allergies ou l’obésité[11], tout en protégeant la mère de l’hypertension artérielle, d’une trop grande prise de poids ou d’un diabète gestationnel.
À l’autre bout de la vie, il augmente le flux circulatoire cérébral, dont on pense qu’il joue un rôle majeur dans la genèse de la maladie d’Alzheimer[12], diminue le risque de dépression[13], améliore la mémoire[14] et prévient les risques d’AVC[15].
En cancérologie, les bénéfices ne sont plus à démontrer, tant sur la prévention du cancer du côlon que sur la diminution des récidives de cancer du sein :
« La prévention de la rechute du cancer du sein a été montrée sur une cohorte de 307 femmes traitées pour un cancer, dont 199 avaient un régime méditerranéen et les autres un régime libre. Après 3 ans, il a été observé une récidive du cancer chez 11 femmes dans le groupe régime libre, et aucune dans le groupe méditerranéen. À l’inverse, une nourriture toxique telle que la consommation de viande rouge industrielle […] et les aliments ultra-transformés, augmente le risque de cancer de 45 %. »[16]–[17], écrit Gilbert Deray dans son livre.
Thés verts et autres sources alimentaires d’antioxydants, de polyphénols et de catéchines
La consommation régulière de thé vert constitue le troisième principe du programme « ÉPICURE ».
Il est maintenant prouvé que « les thés contiennent de nombreuses substances dont la plupart exercent des effets favorables sur notre santé »[18]. Catéchines[19], antioxydants, polyphénols, etc., sont autant de « pépites » que vous trouverez dans le thé vert, mais aussi dans le cacao, le chocolat, le café, les noix, les amandes, les épices comme le curcuma, le persil, la coriandre, le vin rouge de bonne qualité, les légumes et fruits bio, et en particulier les fruits rouges (framboises, fraises, mûres, myrtilles, groseilles, etc.)[20].
Ce sont tous ces aliments que je vous conseille d’ajouter quotidiennement dans votre alimentation.
Quant aux thés verts, il y a tant à dire sur toutes leurs propriétés protectrices et sur la façon de les choisir, de les infuser, de les consommer[21], qu’ils mériteront une lettre entière.
Je vous conseille de faire des cures de trois tasses par jour pendant 10 jours, voire plus, si vous avez :
- un risque inflammatoire ou infectieux ;
- un risque particulier de cancer ;
- une maladie virale, comme la grippe ou la pneumonie ;
- une maladie inflammatoire de l’intestin, comme la maladie de Crohn ou la rectocolite hémorragique.
Choisissez un bon thé vert japonais : un sachet de 100 grammes de thé en feuilles coûte une dizaine d’euros, et l’infusion peut être renouvelée deux ou trois fois avec les mêmes feuilles.
Le quatrième pilier du programme « ÉPICURE » : plongez-vous dans la musique, l’art et la lecture…
… car « la médecine est un art, et l’art est une médecine »[22] !
« Il vous suffit de voir sur une IRM le feu d’artifice que déclenche la musique dans notre cerveau pour être convaincu de la puissance thérapeutique de ce qui doit être considéré comme un phénomène biologique, et pas seulement socio-culturel. »[23]
Combien d’entre nous ne peuvent réellement bien travailler ou écrire qu’en musique ! Combien d’entre nous ignorent qu’ils pourraient calmer leur stress, leur anxiété ou diminuer leur tension artérielle en écoutant de la musique, et plus particulièrement celle de Mozart, Vivaldi, Brahms, Debussy ou Bach ?
La génodique[24] est l’art de soigner les plantes (en particulier la vigne) et les animaux par la musique. Certains fermiers font ainsi écouter de la musique à leurs vaches pour améliorer leur production de lait[25] ! Pourquoi la génodique ne serait-elle pas en mesure de modifier notre destin épigénétique ?
Gilbert Deray cite de nombreuses études qui démontrent l’influence de la musique sur l’épigénétique, mais également sur la régulation du cortisol (l’hormone du stress) et de l’inflammation chronique, sur l’augmentation de l’ocytocine (hormone de la relation empathique et amoureuse), de la dopamine (hormone de l’action), de la sérotonine (hormone de la détente), et plus généralement sur l’immunité.
La musique est également un puissant régulateur émotionnel chez l’enfant, qui peut bénéficier déjà dans le ventre de sa mère. Il existe une étude Californienne[26] passionnante à ce sujet, mais il vous suffit de taper sur le site « Pubmed[27] » : « Music intervention to reduce stress », et vous trouverez plus de 140 études !
Je me rappelle que lorsque j’étais enfant, ma mère m’emmenait souvent écouter de « la grande musique ». Quelle chance j’avais ! Elle en mettait aussi à la maison. Je la revois encore placer sur l’électrophone un vinyle sorti d’une pochette à l’effigie de Beethoven, Wagner, Debussy ou Chopin… J’en ai gardé quelques-uns précieusement : je les écoute encore avec plaisir, malgré leurs petits craquements !
La musique n’agit pas que sur le cerveau, mais également sur le cœur : « Le cœur a un cerveau. Il ressent la musique et il sera très sensible à ses effets anti-stress. Cela se traduit par des actions favorables sur la pression artérielle, la fréquence cardiaque, le risque cardiovasculaire et, beaucoup plus étonnant, la tolérance d’une greffe cardiaque »[28].
En oncologie, la musique est une thérapie complémentaire efficace : elle peut calmer le stress, l’anxiété, et contribuer à atténuer la douleur. Elle exerce également de nombreux effets positifs sur la pratique sportive : « Elle augmente la force musculaire, la capacité, l’endurance, la synchronisation des gestes, la récupération après l’effort, et atténue les douleurs pendant et après l’activité physique ».[29]
La lecture est aussi un art thérapeutique. Elle a les mêmes propriétés d’apaisement et de neurorégulation que la musique.
« À l’instar de la musique, la lecture (sur support papier) a un effet favorable sur le stress, avec une baisse de la tension des muscles, des battements du cœur et de 67 % du taux de cortisol, chez les personnes qui lisent seulement 6 minutes par rapport à un groupe témoin. »[30]–[31]
On sait maintenant depuis une quinzaine d’années que les modifications de la plasticité cérébrale induites par la lecture, l’écoute musicale et même le calcul mental peuvent améliorer le fonctionnement cérébral et quasiment… réparer le cerveau, et ce même chez les personnes âgées.
Tout ceci a été prouvé notamment par une étude de l’université de Yale[32] : « Des personnes de plus de 50 ans qui lisent plus de trois heures et demie par semaine, ont, sur une période douze ans, une longévité augmentée de 23 % comparées à celles qui ne lisent pas […]. »[33]
Que penser de la lecture numérique ? Il est encore trop tôt pour conclure quoi que ce soit. La lecture sur écran et l’écriture sur clavier ne sollicitent pas les mêmes zones du cerveau que l’écriture avec un stylo sur du papier et la lecture d’un livre imprimé.
Il ne semble pas pour autant que l’on doive les opposer : elles sont probablement complémentaires. Il serait simplement dommage, et trop tôt, de remplacer complètement le papier par le numérique. L’important consiste en fait dans la régularité de la lecture et dans sa quotidienneté, comme pour la méditation.
« Ne cherchez pas de réponses intellectuelles, pratiquez, pratiquez seulement et simplement ! » dit le Maître Zen.
Le cinquième pilier « ÉPICURE » : sevrez-vous du tabac !
« Le tabagisme modifie les chromosomes et leur activité. Chez le fumeur, 7 000 gènes, soit un tiers du génome humain, ont une activité modifiée par le tabac. »[34]-[35]
Le tabac provoque des modifications épigénétiques qui diminuent l’activité et la concentration des antioxydants. Dans mon livre Vitamine C pour tous et pour la vie (éditions Jouvence), j’explique qu’une seule cigarette fumée peut augmenter le besoin en vitamine C de 20 milligrammes. Il n’est donc pas étonnant que l’on assiste aujourd’hui, dans les pays occidentaux, à une recrudescence du scorbut[36], cette maladie due à une déficience en vitamine C, qui décima les premiers marins partis pour les Amériques : nous fumons, nous prenons des hormones contraceptives (qui augmentent aussi les besoins en vitamine C) et nous consommons majoritairement des fruits de la grande consommation, appauvris en vitamines mais riches en pesticides.
Fumer entraîne aussi un raccourcissement des télomères, affecte l’immunité, augmente le cortisol, les risques cardiovasculaires, les risques de dépression, de démence, d’obésité, de stérilité, de maladies articulaires, osseuses ou digestives. Rien que ça !
La cigarette provoque une mort lente mais douloureuse chez les personnes âgées de plus de 65 ans, à cause de cancers dont les voies pulmonaires et digestives sont les premières cibles.
Il est impressionnant de voir, en imagerie médicale, le spasme coronaire que provoque la consommation d’une seule cigarette ! Comment s’étonner de l’augmentation du risque cardiovasculaire, même avec un faible tabagisme ou un tabagisme passif.
Un article récent du Jama (Journal of the American Medical Association) relayé par Sciences et avenir[37], nous apprend qu’en arrêtant le tabac, les risques cardiovasculaires baissent de 39 % après 5 ans de sevrage. Cette baisse s’amplifie avec la durée du sevrage, si bien que, 10 ou 15 ans plus tard, les risques redeviennent équivalents à ceux des non-fumeurs, quel que soit l’âge de la personne. Ces résultats ont été obtenus en suivant un groupe de 8 770 personnes sur la durée d’une vie de 1954 à 2015, et en tenant compte des autres facteurs de risque tels que le diabète, l’hypertension ou le surpoids.
Il n’est donc jamais trop tard pour cesser de fumer et d’enfumer ses proches !
Si vous ne le faites pas pour vous, faites-le au moins par respect pour votre entourage, en particulier des enfants.
La fumée de tabac se comporte en outre comme un perturbateur endocrinien[38]-[39] : elle altère le fonctionnement de la thyroïde, des surrénales, des testicules, des ovaires, du pancréas, etc.
Pour achever ce tableau peu glorieux, je tiens à rappeler que l’association du tabac avec la pilule contraceptive peut provoquer la mort brutale chez une jeune femme (la consommation d’alcool aggravant encore le risque).
Mon « maître » Lucien Israël[40], qui m’enseigna la cancérologie médicale dans les années 1980, s’interrogeait sur l’obligation de continuer à faire prendre en charge par la collectivité les soins de ceux qui avaient des maladies directement liées au tabagisme et qui continuaient de fumer… Avait-il totalement tort ?
Chère amie, cher ami, c’est sur ce dernier point que je terminerai cette seconde lettre consacrée au programme « ÉPICURE ». J’espère que ces deux lettres vous auront invité(e) à réfléchir, voire à repenser, votre « relation au monde ».
Docteur Dominique Rueff
Bonjour docteur Votre lettre et tous vos articles me procurent un immense plaisir. Certains de mon entourage m’appellent madame docteur alors que je ne fais que me protéger non pour vivre plus longtemps mais pour vivre de façon autonome le plus longtemps possible sans avoir à ennuyer ma descendance. Bref, garder son autonomie et sa dignité jusqu’à la fin de mes jours. Pieux rêve, je l’avoue !!!!!! Merci docteur.
Vivre plus longtemps…. ?
A quoi bon parfois ???
Quand le poids du passé vous tire en arrière, faut-il vraiment lutter pour continuer à tout prix ?
Bonjour
Pourquoi ne pas faire une place dans votre article aux végétariens ?
Pourquoi ne pas parler des études qui concluent que ces 2 façons de s alimenter ont sensiblement les mêmes vertus ?
J ai l impression que vous mettez les végétariens à l écart…
Depuis plusieurs années je suis régulièrement tous les conseils pour guérir mes douleurs articulaires intenses et qui empêchent même la marche de plus de 20 mètres ma vie est devenue un enfer et mes nuits blanches m’ont affaiblie également. J’ai tout essayé le the vert l’arpagophytum les bourgeons le MSM diverses tisanes mais rien ne fin tonne. J’aimerais un retour de votre part . Seules l’arrêt des statines pour mon taux de cholesterol à réussi. Tout ce qui est plantes J’ai tenté car mon père y croyait fort mais hélas pas sur moi. Je viens de lire sur un site de Santé que la prise de CBD rendait les malades enfin libres de leurs douleurs articulaires mais si cela existe en France ils ne veulent pas en vendre en Belgique alors qu’au Canada il existe des usines de ces produits et ils sont délivrés aux patients que ce soit sous forme d’huile ou de e-cig même en pommade… pourquoi nous briser le reste de notre vie alors que le remède existe. Big Pharma vous fait encore peur ? Merci de votre réponse et bien à vous.