Comment les perturbateurs endocriniens menacent notre santé – Première partie
Je vous ai parlé, dans une précédente lettre, de la pollution atmosphérique et des moyens nutritionnels de l’atténuer. Malheureusement, il existe un autre type de pollution, qui menace notre santé et plus encore celle de nos enfants : les perturbateurs endocriniens.
Un perturbateur endocrinien… qu’est-ce que c’est ?
Le premier rapport de l’OMS, en février 2010, fait du problème des perturbateurs endocriniens un enjeu sanitaire pour le XXIème siècle. Il propose la définition suivante : « Les perturbateurs endocriniens sont des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle étrangères à l’organisme, qui peuvent interférer avec le fonctionnement des systèmes endocriniens et induire ainsi des effets délétères sur cet organisme ou ses descendants. »
Vaste et terrifiant programme !
Nous allons voir que tout notre système endocrine, c’est-à-dire de nos glandes à notre foie, en passant par la thyroïde et surtout le système reproducteur, est menacé, de même que notre descendance. Et ce, que nous soyons un homme ou une femme, un adulte, un enfant ou… un fœtus !
Ces perturbateurs endocriniens agissent :
- soit indirectement, en modifiant la production, le transport et l’élimination des hormones ;
- soit directement, en modifiant les récepteurs cellulaires des hormones, empêchant ainsi la transmission du « signal hormonal ». C’est ainsi qu’on les a surnommés les « fake news » de l’organisme.
Le problème est que nous sommes surexposés à ces substances : on les trouve dans l’eau, l’air, les aliments, les cosmétiques, etc. La contamination peut se faire de différentes façons : ingestion, inhalation, absorption, passage transplacentaire (de la mère à son fœtus).
D’autre part, comme la plupart de ces substances se stockent dans la graisse, une très grande majorité d’entre elles passe dans le lait maternel, entraînant ainsi, chez le nouveau-né, une absorption qui peut être 10 fois plus élevée que chez un adulte.
Ceci implique :
- que l’on devrait être attentif à l’état d’intoxication d’une personne souhaitant avoir un enfant. En théorie, on devrait essayer de la détoxiquer avant la grossesse, et l’inviter à certaines mesures de protection pendant la grossesse. J’y reviendrai.
- que dans le cadre d’amaigrissements importants et trop rapides, ces substances peuvent être relarguées dans la circulation sanguine, provoquant des états de fatigue ou des malaises.
Étonnement, la relation entre dose et conséquence n’est pas linéaire : de faibles doses peuvent présenter plus de dangers que de fortes doses.
Il faut en fait tenir compte de la durée et surtout de l’âge d’exposition à ces substances : la période la plus sensible étant celle de la gestation et de l’enfance.
Sachez aussi que les effets peuvent être retardés : une exposition dans l’enfance peut ne provoquer des symptômes qu’à l’âge adulte, et surtout, se transmettre de génération en génération en modifiant la programmation des gènes…
Enfin, l’effet cocktail des perturbateurs endocriniens est complexe à mettre en évidence : il découle parfois de l’addition des effets délétères de plusieurs composés à faibles doses, qui agissent sur les mêmes mécanismes biologiques. Ensemble, ils peuvent perturber l’organisme sans que chacun, pris isolément, n’ait d’effet. Par ailleurs, il peut y avoir des interactions entre perturbateurs endocriniens agissant par des mécanismes différents (synergiques ou antagonistes). Un véritable casse-tête !
Qui sont les coupables ?
Il existe plusieurs types de perturbateurs endocriniens :
Les hormones de synthèse, contenues dans certains contraceptifs et dans les traitements de substitution pour la ménopause. Ils agissent en modifiant le système endocrinien.
Les pesticides utilisés dans l’agriculture : DDT, lindane, dieldrine, endosulfan, chlordécone, etc., qui sont des insecticides… D’autres sont herbicides comme l’alachlore et l’atrazine, ou encore fongicides. Malgré l’interdiction de certains de ces produits en France (respectivement en 1993 et en 1997), ils continuent, aujourd’hui, d’être à l’origine de cancers et de maladies endocriniennes[1].
Rappelez-vous la catastrophe de Seveso qui s’est produite en juillet 1976, dans le nord de l’Italie. Un nuage d’herbicide contenant des produits toxiques s’échappe d’une usine chimique et contamine les alentours, provoquant à la fois des hospitalisations pour les enfants des communes voisines, dont celle de Seveso, et la mort de plusieurs dizaines de milliers d’animaux de bétail.
Quant à la France, elle est l’un des pays les plus consommateurs au monde de pesticides. En France, 96 % des eaux de surface et 61 % des nappes phréatiques contiennent des pesticides[2].
Les phtalates sont des produits utilisés comme plastifiants dans la fabrication des matières plastiques. Ils peuvent également être présents dans des produits cosmétiques ou dans certains procédés d’impression.
Le bisphénol A a longtemps été présent dans tous les plastiques alimentaires ; il est maintenant interdit en France depuis juin 2010.
L’alkylphenol et le nonylphenol sont présents dans certains produits ménagers comme les tensioactifs et les détergents.
Les dioxines sont des déchets volatils produits par l’industrie chimique : métallurgie, incinérateurs d’ordures, etc.
Les polychlorobiphenyles (PCB), plus connus sous le terme de « pyralènes », ont été massivement utilisés comme lubrifiants dans les transformateurs électriques, ou comme isolants de très hautes tensions. Ils sont interdits en France depuis 1987, mais ont encore des répercussions sur l’environnement et nos organismes.
Les polybromobiphényles entrent dans la composition des plastiques ou de certains tissus pour limiter leur inflammabilité. Ce sont ces fameux « retardateurs de flamme » qui sont partout dans nos maisons : matières plastiques d’appareils électriques, électroménagers et électroniques (câbles, ordinateurs, télévision), vêtements, tapis, tissus d’ameublement, mobiliers, mousses et matériaux de rembourrage (oreillers, coussins), isolants, peintures, certains matériaux de construction, etc.
Ils sont suspectés d’être des perturbateurs du système endocrinien. Leur action, qui cible principalement le foie et la thyroïde, se traduirait par un retard dans la maturation sexuelle, et pourrait endommager le développement du système nerveux des fœtus et nouveau-nés (entraînant des troubles neurocomportementaux). Pour illustrer ce propos, je vous invite à visionner le documentaire « Demain, tous crétins ? », disponible en libre accès sur Internet[3].
Quelles sont les impacts des perturbateurs endocriniens en fonction de l’âge ?
Pendant la période fœtale, on peut observer des malformations au niveau de l’appareil reproducteur du fœtus, des atteintes du système nerveux central et des retards de croissance intra-utérine.
Dans l’émission VOX de Midi Libre[4], Charles Sultan, professeur d’endocrinologie pédiatrique à Montpellier, sonne l’alerte. Selon lui, les conséquences de la pollution environnementale sur la santé de l’enfant sont réelles et il y a urgence à bannir les perturbateurs endocriniens : « Dans le cordon du nouveau-né, on isole près de 300 produits chimiques, 300 perturbateurs endocriniens. L’enfant n’est pas encore né, ou il vient de naître, et il est déjà pollué. »
Dans l’enfance, les effets neurotoxiques conduisent à des problèmes d’apprentissage ou à des troubles du comportement. Ils peuvent également augmenter la fréquence des allergies respiratoires.
À l’âge adulte, on constate une baisse de la fertilité et une fréquence accrue de cancers hormonaux-dépendants, comme les cancers du sein, des testicules ou de la prostate. Ils sont suspectés d’être à l’origine de troubles du système immunitaire et de perturbations du métabolisme, comme la résistance à l’insuline, le diabète de type II ou l’obésité, et ainsi favoriser l’apparition de certaines maladies cardiovasculaires.
Les pathologies connues comme dépendantes de leur exposition
Action sur les organes de la reproduction
Les pesticides, les phtalates et les parabènes miment l’action des œstrogènes : on les nomme « œstrogènes-like ».
Chez les garçons, ils peuvent entraîner une baisse de la fertilité. Le nombre moyen de spermatozoïdes produits par les hommes en bonne santé a diminué de 50 % entre 1940 et 1990, soit en deux générations.
Cette baisse de la fertilité peut être due à la cryptorchidie, un arrêt de la migration testiculaire. C’est une malformation dont l’incidence augmente, avec une hausse de 65 à 77 % au cours des dernières décennies au Royaume-Uni. Elle est le principal facteur de risque d’apparition d’un cancer du testicule.
Elle peut aussi être due à l’hypospadias, une malformation de l’orifice de l’urètre. Sa prévalence a doublé en 20 ans.
Chez les filles, on assiste à une augmentation de pubertés précoces : les personnes concernées sont celles chez qui on a retrouvé des taux significatifs de phénols et de phtalates.
Le distilbène (diéthylstilbestrol), un médicament donné aux femmes enceintes, mis sur le marché français en 1948 et retiré en 1967, a entraîné l’augmentation des cas d’hypospadias, de cryptorchidie, ainsi qu’une baisse de la fertilité chez les descendants masculins des femmes ayant pris ce médicament[5]. Chez les descendantes féminines, il a engendré des anomalies du développement de l’appareil reproducteur, des cancers de l’appareil reproducteur, notamment du vagin, ainsi qu’une stérilité. De plus, des troubles de la fertilité touchant la deuxième génération permettent de supposer une action transgénérationnelle.
Action sur la thyroïde
C’est cette dernière qui est évoquée dans le documentaire « Demain, tous crétins ? » : le fœtus ne produisant pas d’hormone thyroïdienne avant la quatorzième semaine de gestation, c’est l’hormone thyroïdienne maternelle qui fournit la thyroxine au cerveau du fœtus. Or, en cas de déficit thyroïdien durant le premier trimestre de la grossesse, le risque de handicap mental est de 1/30. Il peut entraîner une atteinte des capacités cognitives, de la mémoire et de l’intégration visuelle.
Une étude menée en 2009[6] sur 249 patients âgés de 2 ans a établi un lien entre les troubles du comportement et la présence dans les urines de certains perturbateurs. On constate ainsi une augmentation de l’agressivité, des désordres de l’activité motrice, une diminution de la mémoire et de la concentration.
Perturbateurs endocriniens et maladie de Parkinson
Une équipe de chercheurs de l’Inserm en neuro-épidémiologie a montré que l’exposition aux pesticides doublait le risque de survenue de Parkinson chez les agriculteurs[7]. Ce risque, qui augmente avec les années d’exposition, est en particulier lié à l’usage des insecticides, notamment des organochlorés.
Perturbateurs endocriniens et immunité
Ils peuvent agir sur l’immunité du plus jeune au plus âgé, avec des problèmes favorisant les risques d’infertilité, de cancer, de changement de sexe, d’obésité, etc.
Des études sur l’animal (rates) ont montré que l’exposition in utero, puis dans l’enfance, à des perturbateurs endocriniens, augmentait l’inflammation de l’intestin ainsi que sa perméabilité.
Perturbateurs endocriniens et maladies métaboliques
Le diabète de type I est en augmentation en France comme en Europe depuis 20 ans, avec une progression moyenne de 3,9 % par an. L’hypothèse environnementale n’est pas écartée. Le syndrome métabolique, avec tous les risques qu’il implique au niveau cardiovasculaire, est en recrudescence importante. Nous avons vu dans une lettre précédente que la pollution atmosphérique était responsable d’au moins un diabète sur sept, et il est possible que l’exposition aux perturbateurs endocriniens augmente encore cette fréquence.
Perturbateurs endocriniens, autisme et maladies neurodégénératives
Un article de Bénédicte Salthun-Lassalle du 13 août 2018 dans la revue « Cerveau & Psycho », dont je vous recommande la lecture, précise le problème[8] : « Aujourd’hui, 1 % des enfants français seraient atteints d’un trouble du spectre autistique, et 80 % des cas seraient d’origine génétique. Mais la maladie est bien plus fréquente qu’il y a 30 ans : si 25 % de cette augmentation serait due au fait que l’on diagnostique mieux les patients, les 75 % restants ne peuvent pas s’expliquer uniquement par des mutations génétiques… Il est donc probable que les polluants environnementaux interviennent. »
Comme il reste encore beaucoup de choses à dire sur ce sujet, dans les lettres suivantes, j’aborderai et préciserai :
- la place des perturbateurs endocriniens dans notre environnement ;
- les mesures permettant d’augmenter notre protection ;
- les moyens théoriques de protection, par l’alimentation et certains compléments alimentaires.
Docteur Dominique Rueff
P.S. : Pour la rédaction de la présente lettre, je tiens à remercier particulièrement l’équipe du laboratoire SOFINOV et les rédacteurs de sa lettre d’information n°2018 de septembre 2018, qui m’a inspiré une bonne synthèse des informations.
Un tout grand merci, du fond du coeur, pour ces informations très techniques et pourtant parfaitement claires et compréhensibles ! Souffrant de thyroïdite de Hashimoto, que j’ai malheureusement transmise à mes filles, j’ai la chance d’avoir trouvé un médecin à la pointe des dernières découvertes ET qui prend le temps de connaître les spécificités de chaque patient tout en faisant une lecture approfondie de ses prises de sang régulières pour leur prescrire le traitement adapté. Si la médecine est une science, elle nécessite aussi de pratiquer l’ouverture à l’autre dans la bienveillance. Encore merci de m’avoir permis de mieux comprendre ma pathologie !