Repenser notre rapport au monde – Première partie

Dans la lettre que je vous ai envoyée début août, « Nous pensions refaire le monde », je vous en annonçais une prochaine où je souhaitais vous parler d’un homme « hors norme » dans le paysage médical universitaire et hospitalier français. Il est temps de vous le présenter.

Gilbert Deray, professeur et chef de service de néphrologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, s’est tourné vers la médecine anti-âge et préventive il y a de nombreuses années. Il a plus de 600 publications à son actif et son dernier livre, Choisissez votre destin génétique[1], dont je vous conseille la lecture, va nous donner l’occasion de parler d’épigénétique[2], et des moyens que nous avons à notre portée pour contrôler notre destin génétique.

Dans un autre livre, cette fois un roman, que je vous recommande également, Bernard Minier[3], auteur de nombreux thrillers, aborde les bénéfices et les dangers que nous apporteront prochainement les développements de l’intelligence artificielle (IA). Il y prédit que, bientôt, nos tablettes, smartphones et objets connectés nous connaîtront bien mieux que nous-mêmes et pourront, grâce à l’analyse de nos gènes et de nos habitudes de vie, prédire avec peu de chance de se tromper… les conditions et l’heure de notre mort.

C’est justement cela, l’épigénétique ! 

Il y a encore une vingtaine d’années, nous pensions que notre génome, établi et inscrit une fois pour toutes sur nos chromosomes, déterminait non seulement notre poids, notre taille, la couleur de nos yeux, mais aussi notre risque de succomber ou de résister à certaines maladies. Pour intervenir génétiquement, cela supposait une action directe sur les gènes afin de modifier notre évolution, de diminuer certains risques ou de mieux guérir. Depuis, nous avons appris que plus de deux tiers de nos gènes sont en fait contrôlés par nos conditions de vie et notre environnement !

« Épigénétique » signifie « par-dessus la génétique classique » : c’est la possibilité de modifier l’expression de nos gènes par notre comportement. Par ce dernier, nous favorisons (ou non) la synthèse de molécules (enzymes, hormones, protéines, etc.). Celles-ci vont intervenir comme des clés ouvrant ou fermant des tiroirs qui vont permettre ou non au génome de s’exprimer : c’est donc une véritable responsabilisation de la conduite de notre vie.

Ainsi, deux jumeaux génétiquement identiques, qui n’auront pas les mêmes conditions de vie, n’auront pas les mêmes destinées !

C’est un formidable message de liberté par rapport à notre destin :  en ouvrant ou fermant des applications, nous pouvons décider d’activer ou de désactiver certains gènes.

Que nous soyons malades ou en bonne santé, nous pouvons donc intervenir activement sur notre devenir.

« En bonne santé ou malade, on peut changer son destin médical ! »

C’est en ces mots que répondait le professeur Gilbert Deray, interviewé sur « Sud Radio » le 25 avril 2018, à la question : « Peut-on échapper à son destin génétique ? Serons-nous irrémédiablement victimes des gènes ou des prédispositions génétiques que nos parents nous ont transmis ? »  

Dans son ouvrage La Symphonie du Vivant[4], Joël de Rosnay compare génétique et épigénétique, comme nous pourrions comparer le système d’exploitation de nos ordinateurs ou téléphones au magasin d’applications que ce système met à notre disposition : à systèmes d’exploitation égaux, nous avons plus ou moins d’applications que nous pouvons décider d’ouvrir ou non, ce qui va changer complètement notre façon d’utiliser et de profiter de notre matériel.

L’auteur explique également que notre code génétique n’a pas évolué à la vitesse de notre environnement. C’est ce que développait déjà le DCatherine Kousmine[5] dans son livre Sauvez votre corps ![6] publié en 1987 : elle insistait sur la trop rapide évolution de notre mode de vie, celui du « chasseur-cueilleur » que nous étions avant l’apparition de l’agriculture, et celui de l’humain préservé des pollutions actuelles, avant la révolution industrielle.

Comme le DKousmine, Joël de Rosnay s’interroge sur l’impact de la « malbouffe industrielle », des huiles chauffées et raffinées et de l’appauvrissement nutritionnel des aliments que nous consommons quotidiennement.

Si vous désirez mieux vous informer à propos l’état de notre alimentation actuelle, je vous conseille de visionner l’excellente émission « Envoyé Spécial » d’Élise Lucet sur le sujet[7].

De la médecine hospitalière à l’accompagnement environnemental

Revenons au professeur Gilbert Deray. Il pratique depuis des années avec ses patients cette médecine qui allie la médecine moderne et hospitalière, à ce que je qualifie de « médecine intégrative »[8], c’est-à-dire l’intervention sur l’environnement et le mode de vie du patient. Dans ses écrits, il insiste sur les preuves scientifiques modernes de l’efficacité d’une telle intervention.

Mais comment pouvons-nous « intervenir » sur notre destin génétique ?

Dans son livre, Gilbert Deray propose un programme d’action en neuf points, qu’il nomme « ÉPICURE » :

  • Une meilleure gestion du stress ;
  • Une nutrition adaptée à nos conditions génétiques de « chasseurs-cueilleurs » ;
  • Une consommation régulière de thé vert ;
  • Une immersion dans la musique, l’art et la lecture ;
  • Une éviction totale du tabac ;
  • Une pratique particulière du rire et de l’humour ;
  • Une attention portée à la qualité du sommeil ;
  • Une attention particulière à l’empathie, à l’amour et la sexualité ;
  • Une activité physique régulière.

Certaines de ces propositions ne sont pas nouvelles, mais il y apporte un regard personnel et des explications scientifiques.

J’ajoute deux autres options reconnues pour leur action épigénétique positive :

  • Une bonne gestion de ses relations sociales ;
  • Une meilleure attention à son environnement et aux pollutions potentielles[9].

Le stress : un facteur de survie, devenu toxique au fil de notre évolution !

C’est le professeur Henri Laborit[10], biologiste et chirurgien militaire, qui écrivit, à propos du stress, un livre fondamental : Éloge de la fuite[11]. Il y explique clairement l’origine du stress, ce comportement de survie de nos lointains ancêtres : courir ou se battre !

Mais le stress et son corollaire immédiat (la fuite, la colère ou le combat) n’ont plus les mêmes raisons d’être de nos jours, qu’à l’époque du Paléolithique.

On sait maintenant que le « bon » stress aigu (faire un discours devant une assemblée, gagner au loto, etc.) peut tuer aussi bien que le « mauvais » stress (apprendre son licenciement, la perte d’une personne chère ou l’annonce d’un contrôle fiscal, etc.). Nous connaissons tous des exemples autour de nous.

Les conséquences du stress peuvent être « transgénérationnelles » et échapper à notre conscience : enfants maltraités ou au contraire trop couvés, nous ne sommes pas toujours responsables de notre comportement d’adulte, de nos inquiétudes, de nos peurs irraisonnées, de notre pessimisme ou de notre mélancolie…

Nous savons par exemple que les enfants de mères stressées présentent plus de troubles du comportement que la moyenne.

Combien de patients angoissés, voulant absolument comprendre l’origine de leur maladie avant d’envisager tout traitement, retardent ainsi leur prise en charge thérapeutique, diminuant leurs chances de guérison.

Cela me fait penser à cette histoire venue des temps anciens :

« Un guerrier reçoit une flèche dans la poitrine, sur le champ de bataille. Tous se précipitent pour lui enlever la flèche et le soigner. « Halte ! leur dit-il, vous ne me toucherez pas avant que je ne sache qui a envoyé la flèche et pourquoi. Attrapez-le ! Je le vois là-bas à l’horizon. » Bien entendu, le temps que l’on attrape le tireur, le blessé meurt… »

C’est cependant le stress chronique qui est le plus toxique. Il se traduit biologiquement par une élévation d’une hormone surrénalienne : le cortisol, que l’on mesure dans le sang, la salive ou l’urine. Cette hormone active et entretient une inflammation chronique qui devient elle-même un facteur de stress cellulaire. Je l’ai observé maintes et maintes fois au cours de ma pratique : le stress chronique détruit les défenses immunitaires et amoindrit les possibilités de guérir.

Le stress chronique, Gilbert Deray en témoigne dans son livre, et je le rejoins, peut aggraver l’évolution de cancers, de maladies cérébrales comme Alzheimer ou Parkinson, augmenter le risque d’infarctus et entretenir une inflammation chronique intestinale qui va perturber l’absorption nutritionnelle et donc affaiblir le patient.

Malheureusement, certains patients refusent de le comprendre et d’être soigné en conséquence. Il n’y a rien de plus difficile pour un thérapeute que de devoir inlassablement convaincre un patient qu’un médicament ou une intervention qu’il exclue sont absolument nécessaires.

J’ai connu quelques femmes, atteintes de cancer, mortes prématurément faute d’avoir accepté de se faire opérer[12]. J’en connais d’autres qui, à force de chercher tous les prétextes pour une meilleure anesthésie « moins chimique », ou une période « astrologiquement favorable », ou n’importe quelle autre raison, finissent par ne plus être opérables dans de bonnes conditions.

C’est dans ces cas que le thérapeute doit faire appel à toute son empathie et à sa patience. Mais que c’est parfois difficile ! Car nous, thérapeutes, nous savons qu’un patient ne profitera vraiment d’un médicament ou d’une intervention que s’il l’a finalement accepté !

Mais notre destin épigénétique lié au stress n’est pas scellé dans le marbre ! 

Les moyens de surmonter un stress chronique ne manquent pas, et ce sont ceux-là que je propose en première intention chez les patients « difficiles ». La pratique de la cohérence cardiaque[13] est l’un des plus simples. Alliée à de l’exercice physique régulier et à l’apprentissage de la méditation[14] sous toutes ses formes, elle permet de dédramatiser et de prendre de la distance par rapport à ces tracas qui nous empêchent de nous accepter et d’accepter les autres. Elle augmente l’espérance de vie en rallongeant nos télomères[15], mais aussi en favorisant la « méthylation »[16], donc en nous protégeant de nombreuses maladies chroniques. Il en est de même avec la pratique du yoga, du tai chi ou du qi gong.

Enfin, pour devenir le meilleur acteur d’un « lâcher-prise positif », je vous invite à méditer sur cette phrase issue du programme de méditation dirigée « Petit Bambou »[17], que j’utilise personnellement au quotidien et que je vous conseille :  

« Lâcher prise, c’est reconnaître son impuissance et admettre que le résultat final n’est pas toujours entre ses mains. »

Enfin, offrez-vous le temps de méditer sur les notions bouddhistes essentielles d’interdépendance et d’impermanence : « Tout ce qui existe, existe par l’enchaînement de causes et de conditions qui nous échappent, et tout est constamment changeant. »

Ces notions constituent une aide puissante pour vous aider à mieux comprendre et accepter des événements que, sur l’instant, vous jugez comme négatifs, et à envisager positivement leur évolution.

Chère lectrice, cher lecteur, nous continuerons à voir ensemble, dans une prochaine lettre, comment et sur quels autres plans nous pouvons apprendre à mieux contrôler notre épigénétique.

Docteur Dominique Rueff


[1] Choisissez votre destin génétique, Gilbert Deray, Éditions Fayard, 2018

[2] Voir la définition plus bas.

[3] M, le bord de l’abîme, Bernard Minier, XO Éditions, mars 2019

[4] La Symphonie du VivantComment l’épigénétique va changer votre vie, Joël de Rosnay, Éditions Les Liens qui libèrent, mars 2018

[5] https://www.kousmine.fr/dr-kousmine/

[6] Sauvez votre corps !, DCatherine Kousmine, Éditions Robert Laffont, 1987

[7] « Qu’est-ce qu’on mange ? », émission d’« Envoyé Spécial » diffusée le 27 juin 2019 : https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/envoye-special/envoye-special-quest-ce-quon-mange_3479097.html

[8] Mieux que guérir : les bénéfices de la médecine intégrative, Dominique Rueff, Éditions Josette Lyon, 2011

[9] Je développerai cette question dans une prochaine lettre.

[10] http://lionel.mesnard.free.fr/le%20site/henri-laborit.html

[11] Éloge de la fuite, Henri Laborit, Éditions Gallimard, 1985

[12] Et Thérèse, malheureusement, était probablement de celles-là : https://www.lettre-docteur-rueff.fr/therese/

[13] Voir ma lettre https://www.lettre-docteur-rueff.fr/devenons-coherents/

[14] Voir ma lettre https://www.lettre-docteur-rueff.fr/mediter-sante-celle-autres/

[15] Voir mes lettres https://www.lettre-docteur-rueff.fr/avons-nous-lage-de-notre-telomerase/ et https://www.lettre-docteur-rueff.fr/comment-stimuler-notre-telomerase/

[16] Un concept et un test sanguin original dont je vous parlerai dans une prochaine lettre.

[17] https://www.petitbambou.com/, programme « Lâcher-prise ».



N'hésitez pas à commenter la lettre de ce jour ci-dessous. Veuillez cependant noter que, en raison du très grand nombre de commentaires, le Dr Rueff ne pourra pas vous répondre individuellement.


2 réponses à “Repenser notre rapport au monde – Première partie”

  1. Roussard Jeonghee dit :

    Je reçois, lis vos articles dès le début avec beaucoup d’intérêt. Mais aujourd’hui, vous me comblez de joie car votre message est rempli de la sagesse et de la compassion bouddhistes. Votre conseil est d’une qualité rare et précieuse, je prie votre prospérité et longue vie afin que vous puissiez éclairer longtemps ce monde obscure et perdu.

    Malheureusement, j’habite à Paris… j’aurais aimer vous rencontrer.

    Recevez mes plus sincères salutations _()_

    Jeonghee Roussard

  2. R-L dit :

    merci docteur

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